FRANCE : BAC 2022/ philosophie : voici le corrigé type du sujet 3, commentaire du texte de Cournot
Evelyne Oléon, professeure agrégée de philosophie, propose un corrigé d’un des trois sujets de l’épreuve de philosophie du baccalauréat général 2022, le commentaire du texte de Cournot. Voici ci-dessous, le corrigé type.
Explication du texte d’Antoine-Augustin Cournot, extrai de son « Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique » (1851).
Enjeux du texte
- La psychologie peut-elle être une science ? Peut-elle prétendre à la rigueur scientifique des sciences expérimentales, physique et biologie ?
- Cournot, dans cet extrait des Fondements de nos connaissances qui date de 1851, affirme que la psychologie, qui prend pour objet d’étude l’esprit, ne peut reposer sur des observations qui aient valeur scientifique et que le philosophe, quand il prétend tenir un discours sur la conscience, ne peut rivaliser avec la rigueur de l’astronome, du physicien ou du biologiste.
- L’auteur commence par mettre en avant les critères nécessaires pour qu’une observation puisse être qualifiée de scientifique. Dans un deuxième temps, il montre pourquoi l’observation psychologique ne répond pas à de tels critères, ce qui invaliderait sa prétention à être une science.
- On pourra donc se demander si une science de l’esprit est possible ? Si celle-ci met en œuvre une méthode semblable aux sciences de la matière ou repose sur des fondements spécifiques ? La psychologie, telle qu’elle s’est constituée depuis le milieu du XIXe siècle, suit-elle la démarche présentée ici par Cournot ? Les objections avancées par l’auteur ne sont-elles pas discutables ?
1/ Les conditions requises pour qu’une observation puisse être qualifiée de scientifique :
La rigueur expérimentale : toute observation n’est pas scientifique. Pour qu’elle le soit il faut :
- Qu’elle soit répétable.
- Que les conditions de l’observation soient strictement définies, qu’aucune part ne soit laissée au hasard. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le protocole expérimental.
- Que l’on puisse constater une identité des résultats. La science suppose identité, répétition et mêmeté.
- Cela n’exclut pas un pourcentage d’erreur lié à l’idée même d’expérience. Il y a dans toute expérience des « bougés », une marge d’erreur car on travaille dans des conditions empiriques et non complètement abstraites.
- Les résultats doivent être indépendants de l’observateur, de ses caractéristiques, de sa constitution, dit l’auteur. Ils ne peuvent être empreints de la subjectivité de l’observateur. Une observation scientifique n’est objective que si la subjectivité de l’observateur l’influence le moins possible (il y a bien néanmoins une marge d’erreur – exception faite aussi de l’incapacité dans laquelle peut se trouver parfois tel ou tel sujet à observer correctement).
Ces conditions rigoureuses sont les conditions de notre confiance en l’expérimentation, de notre confiance quant au savoir objectif que la physique ou la biologie construit.
Or, selon l’auteur, on ne rencontre pas de telles conditions dans la psychologie scientifique c’est-à-dire dans la psychologie, cette étude de l’esprit qui prétendrait au milieu du XIXe siècle acquérir le statut de science.
2/ La psychologie ne peut prétendre à des observations scientifiques. Pourquoi ?La raison fondamentale avancée par l’auteur, sur laquelle repose toute sa thèse, c’est que dans la psychologie l’observation est intérieure. Pourquoi observation intérieure ?
Il n’y a pas ici d’extériorité entre l’observateur et l’observé : « Se confondent le rôle d’observateur et celui de sujet d’observation. » Sujet d’étude et objet d’étude ne font qu’un.
Selon Cournot, l’observation en psychologie ne peut être qu’une introspection, le psychologue se prend pour objet d’étude, examine les phénomènes psychiques en regardant en lui-même.D’autre part les observations ne permettent de déterminer aucune stabilité.
Le phénomènes psychiques sont pris dans la durée, l’esprit se modifie sans cesse, ils sont fugaces, en modification constante.Ils n’offrent aucune identité, unité, universalité car les sujets sont divers, spécifiques, n’offrant aucune uniformité.La démarche ici n’est pas communicable, elle est dépourvue du caractère didactique de la science. L’expérience introspective ne peut être universalisée.
On remarque ici que Cournot ne parle pas du psychologue mais bien du philosophe, écrivant dans une époque où les recherches psychologiques se confondaient avec les recherches philosophiques et avant que la psychologie ne devienne une discipline à part entière.L’auteur insiste sur le caractère incomparable en matière de didactique et de communicabilité entre la démarche subjective du philosophe et l’effort de partage, de mise en commun, d’enseignement de la démarche du physicien ou du biologiste. Or, cette communicabilité est, selon Cournot, ce qui fonde notre confiance en la science, ce qui nous amène à reconnaître la vérité d’une observation, son caractère universalisable.
Conclusion et ouverture :Pour Cournot, en ce milieu de XIXe siècle, la psychologie ne peut légitimement prétendre au statut de science parce que sa démarche d’observation n’a, ni ne peut avoir, la rigueur d’une observation scientifique.
Le présupposé de la thèse repose sur l’idée selon laquelle l’observation en psychologie ne peut-être qu’une observation intérieure, une introspection. Après Cournot, la psychologie se constituera bien comme science mais en tournant le dos à l’introspection, en se servant de l’outil mathématique par exemple, en construisant en laboratoire des observations qui gagneront en objectivité et en construisant une réalité modélisée : l’artefact humain.
Source: Le Monde.
Informations réunies par Pascal S.