FRANCE: BAC 2022/ philosophie : << Revient-il à l'Etat de décider de ce qui est juste ?>>. voici le corrigé type
524 000 candidats au baccalauréat aussi bien du général que de la technologie ont planché sur l’épreuve de philosophie ce mercredi 15 juin 2022. Dans l’enseignement général, l’un des sujets au choix imposés aux candidats est : << Revient-il à l’Etat de décider de ce qui est juste ? >>. Retrouvez ci-dessous, un corrigé type proposé par Évelyne Oléon, professeure agrégée de philosophie.
« Revient-il à l’Etat de décider de ce qui est juste ? »
Analyse et enjeux du sujet :
Le juste recoupe différents champs de réflexion. On peut distinguer le juste moral – la valeur du juste qui s’impose d’elle-même et dont nul ne décide – de ce qui peut être considéré comme juste dans une communauté politique et qui semble d’abord se présenter dans les lois et les décisions de justice.
A ce niveau-là, n’est-ce pas à l’Etat qu’il revient de décider de ce qui est juste ?L’Etat, c’est-à-dire l’institution politique souveraine qui organise la société, n’est-il pas à même de décider de ce qui est juste ?
L’Etat, au-dessus des individualités particulières, au-dessus des groupes d’intérêts divergents, semble incarner une forme d’universalité garante du juste. Dans une communauté politique, n’est-ce pas l’Etat et seulement lui qui peut, à travers ses institutions, décider de ce qui est juste ?Pourtant a-t-il vraiment les moyens de le faire ? Est-il d’ailleurs souhaitable que l’Etat se présente avec un tel pouvoir décisionnel ? L’institution étatique, qui est une institution de fait, peut-elle et doit-elle prétendre décider de ce qui est juste ?L’enjeu sera d’examiner le pouvoir de l’Etat, la portée de ses décisions et l’importance, dans une communauté politique, de tous les acteurs qui peuvent, en dehors de l’Etat, œuvrer au juste.
1/ Pourquoi l’Etat semble-t-il pouvoir décider de ce qui est juste dans une communauté politique
A – L’autorité politique, contrairement aux différentes autres autorités – familiale, économique – se caractérise par une aspiration à l’universalité. L’institution souveraine, garante du bien commun, est souvent pensée comme rationnelle, parce qu’elle se situe au-delà des intérêts particuliers des individus, au-delà des groupes d’intérêts, des lobbys comme on dit aujourd’hui. Cela permet à l’Etat, instance de l’universel, de jouer le rôle d’arbitre.
B – Comment l’Etat décide-t-il ?C’est d’abord le législatif qui incarne un tel pouvoir de décision. L’universalité de la loi, garante de l’égalité des citoyens et de la volonté générale, fait de celle-ci l’organe de la justice.Au niveau du pouvoir judiciaire, c’est au juge qu’il revient d’appliquer la loi pour punir et sanctionner, mais aussi de l’interpréter. La jurisprudence – l’équitable aristotélicien – exprime les décisions empiriques, concrètes, au cas par cas, que prend le juge, à la fois sujet particulier et représentant du pouvoir judiciaire de l’Etat.Pourtant les décisions de l’Etat, prises à travers les lois et les jugements, permettent-elles vraiment de trancher ce qui est juste ? Un Etat n’est pas seulement une institution idéale, il s’incarne dans des formes de pouvoirs historiques. Pour Marx, critique de l’institution étatique, l’Etat est « la forme illusoire du commun », le bien commun ou la volonté générale masque les intérêts de la classe économiquement dominante dont l’Etat est l’instrument.
2/ L’Etat ne peut ni ne doit prétendre décider de ce qui est juste
A – Légiférer ce n’est pas décider du juste car la loi dans un Etat de droit répond à d’autres exigences que d’incarner la justice : protéger les libertés, organiser les pratiques, garantir l’ordre et la sécurité.
B – Il serait dangereux que l’Etat prétende décider, trancher, arbitrer en matière de juste. Ce qui est juste reste de l’ordre de l’idéal, l’Etat est un pouvoir de fait. Un Etat qui prétendrait incarner l’idéal risque de mettre en œuvre une politique autoritaire et d’anéantir tout regard critique sur le juste.
3/ Penser et décider de ce qui est juste ne peut être du seul ressort de l’EtatA – Le juste est une valeur qui suppose un regard critique : pour Alain, « la justice est ce doute sur le droit qui sauve le droit. » Penser le juste suppose des perspectives critiques et idéales. C’est dans cet esprit que Kant distinguait les professeurs de droit libre – les philosophes – des professeurs de droit, le droit positif. Pour penser ce qui est juste, il faut prendre en compte des perspectives cosmopolitiques qui ne sont pas celles des intérêts des Etats. Cette question se trouve aujourd’hui au cœur du droit international. Les déclarations des droits de l’homme, les traités internationaux sont des normes supra-étatiques qui réclament, exigent des réformes et permettent de juger négativement aussi les décisions des Etats.
B – Il y a des lois injustes face auxquelles il convient de penser la désobéissance civile : s’opposer aux lois au nom même de la justice. Par exemple, Tocqueville disait qu’au-delà de la souveraineté populaire qui s’incarne en république dans les décisions législatives, il faut penser la souveraineté du genre humain qui permet, au nom de la justice, de s’opposer aux décisions des Etats.
Conclusion : même si on pense l’Etat comme expression de la souveraineté générale (Rousseau), expression de l’universel et de la raison (Hegel), même si face aux intérêts particuliers on peut et doit attendre de l’Etat qu’il œuvre au juste et en ait le souci, on ne saurait abandonner au seul pouvoir de l’Etat de décider du juste. Les associations de citoyens au niveau national, les traités internationaux jouent un rôle régulateur essentiel pour ne pas abandonner le juste au seul pouvoir empirique des Etat.
Source: Le Monde.
Informations réunies par Pascal S.