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TOGO: EDUCATION: Origine des notes chiffrées dans le système éducatif (Dossier)

Dans la dynamique de remonter à l’origine des notes chiffrées dans les écoles togolaises, les recherches nous ont conduit jusqu’à l’école française, la mère de l’école de ce petit pays de l’Afrique de l’ouest coincé entre le Bénin à l’Est, le Ghana à l’ouest, le Burkina Faso au Nord et l’Océan Atlantique au Sud sur une superficie de 56 600 km2.

En effet, l’école togolaise est bâtie sur le modèle des européens à savoir les allemands puis les français conformément à l’ordre d’occupation du territoire à l’époque par ces colons. Une fois arrivés sur l’espace qui deviendra plus tard le Togo, les missionnaires allemands, au fur et à mesure qu’ils évangélisaient les populations « indigènes », apprenaient leurs langues et donnaient les premiers enseignements d’abord en langues locales puis en allemands tout en limitant la perte des langues des terroirs. Lorsque les premières écoles furent créées sur le sol togolais (colonie de l’Allemagne à l’époque), elles étaient organisées sur le modèle allemand.

Après la première guerre mondiale, les français qui ont repris le territoire aux allemands suite aux deux partages du territoire entre les anglais et les français confirmées par le traité de Versailles en 1919, vont réorganiser l’école togolaise sur le modèle français. L’origine des notes chiffrées dans le système éducatif togolais d’aujourd’hui est donc liée à celle de l’école française.

Dans les lignes et paragraphes suivants, trouvez les éléments de réponse à notre préoccupation dans cet extrait de l’article de Pierre Merle publié en 2015 dans Open Édition Journals, une revue française de pédagogie.

<< L’école française et l’invention de la note. Un éclairage historique sur les polémiques contemporaines

Dans l’école française, les réformes de notation des élèves, objet récurrent de polémiques, débouchent le plus souvent sur l’abandon des pratiques innovantes. L’attachement à la note chiffrée tiendrait à des vertus pédagogiques sacralisées par la tradition. L’analyse historique montre que le recours à la note chiffrée est globalement absent des pratiques d’évaluation jusque dans les années 1880-1890. L’invention de la note, consubstantielle au développement des examens et concours, est relativement récente, et la note s’est progressivement diffusée de façon descendante dans l’institution scolaire. Cependant, dès le xviiie siècle, le clivage entre une évaluation essentiellement sélective et une évaluation principalement fondée sur des compétences distingue des conceptions élitiste et démocratique de l’école française.

Dans le Nouveau dictionnaire de pédagogie publié sous la direction de Ferdinand Buisson en 1911 – il y a à peine plus d’un siècle – ne figure ni l’entrée évaluation ni celle de note ou notation. Autant ces notions paraissent centrales au début du xxie siècle autant elles étaient étrangères au début du xxe.

Invention relativement récente du système éducatif, la note chiffrée n’a pas résulté d’une nécessité interne aux apprentissages mais a eu pour origine la préparation aux épreuves des examens et concours, initialement celles des écoles spéciales, plus tardivement celles du baccalauréat et du certificat d’études primaires.

Les modalités de diffusion de cette pratique d’évaluation dans les écoles primaires, les écoles primaires supérieures, les collèges et lycées, avant et après la période charnière des années 1880-1890, demeurent encore lacunaires. Cette connaissance est éclatée, réduite à certains segments de l’institution scolaire, limitée temporellement, si bien que la dynamique des transformations multiples qui débouchera au cours du xxe siècle sur une forme de sacralisation de la note chiffrée, parfois jugée indispensable aux apprentissages des élèves, nécessite d’être approfondie.

Certes, à partir de la seconde moitié du xixe siècle, la création des examens et concours a fait l’objet d’une production de textes réglementaires éclairants. Ceux-ci constituent autant de jalons nécessaires à la compréhension des processus socio-historiques qui ont contribué à l’invention de la note.

Mais les textes réglementaires ne sont que des éléments d’une chaîne de causalités et nécessités fonctionnelles. S’ils instituent de nouvelles pratiques d’évaluation des élèves, ils ne font parfois que généraliser et/ou unifier des pratiques déjà en œuvre localement. Ils ne sont qu’un moment du processus d’invention de la note qui n’est compréhensible que s’il est appréhendé dans sa globalité.

Si l’invention de la note est favorisée par la création des examens et concours, ceux-ci résultent d’un ensemble de transformations socio-économiques antérieures, tout particulièrement la révolution industrielle.

Celle-ci impose une main-d’œuvre hautement qualifiée, un mode de transmission des connaissances progressivement prises en charge par l’institution scolaire, et la constitution de hiérarchies socio-professionnelles inédites, liées initialement à l’invention du corps des ingénieurs dont la légitimité se construit à partir de la fabrication de hiérarchies scolaires nouvelles. Avec la Révolution française, la fin de certains privilèges aristocratiques sur les emplois et la suppression de la vénalité des charges publiques a aussi amplifié la place de l’institution éducative dans la construction des hiérarchies professionnelles et renforcé les pratiques évaluatives sélectives, celles présentes dans les collèges jésuites, au détriment de celles mises en œuvre dans les Écoles chrétiennes. Le cycle 3, cycle de consolidation, s’étend du CM1 à la classe de sixième. Le cycle 4, cycle des a (…).

L’opposition historique entre les pratiques d’évaluation des élèves en vigueur dans les collèges jésuites et celles en œuvre dans les Écoles chrétiennes demeure pleinement contemporaine.

Elle continue d’opposer d’une part les partisans des notes, favorables à une évaluation chiffrée et, plus ou moins directement, au classement et à une sélection précoce des élèves et, d’autre part, les partisans d’une évaluation élaborée à partir du niveau de maîtrise des connaissances et compétences que chaque élève doit acquérir à la fin de chaque cycle scolaire. La logique de l’évaluation par compétences relève d’une forme de validation individuelle des acquis, étrangère à la notion de classement individuel. Mutatis mutandis, elle s’inspire des pratiques d’évaluation en œuvre dans les Écoles chrétiennes du xviiie siècle.

Avec la création d’un « socle commun de connaissances et de compétences », socle réaffirmé par la loi de 2013, la loi d’orientation de 2005 aurait dû, au niveau de la scolarité obligatoire, faire prévaloir une évaluation des élèves par compétences et supprimer la logique du classement, explicite ou non, qui résulte du recours aux notes.

La remarquable persistance des évaluations chiffrées tient au fait que les pratiques d’évaluation des élèves sont le fruit d’une concurrence toujours active entre les conceptions éducatives des écoles chrétiennes et celle du collège jésuite. La prédominance relative de cette dernière contribue au maintien des logiques sélectives de l’école française et, dans les comparaisons internationales, à des niveaux d’efficacité et d’équité moyens, voire médiocres (OCDE, 2014 ; Merle, 2015) >>.

Pascal S.

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